Le tonnelier autrefois appelé « charpentier de tonneau » est un métier artisanal alliant tradition et perfection. C’est aussi une histoire de recherche et de partage entre le vigneron et le tonnelier mais également une affaire de temps et de patience…
Je me rends en Lot-et-Garonne pour en apprendre plus sur ce métier fascinant qui joue un tel rôle dans le monde du vin et qu’on connait pourtant si peu. J’ai la chance de pouvoir visiter la tonnellerie Saint-Martin qui se trouve dans le village de vignerons de Buzet sur Baïse, affaire familiale depuis 1944, avec un membre de la troisième génération en personne, Monsieur François Saint-Martin qui succède avec dignité à son grand père Hubert. De 1944 à aujourd’hui, on est passé d’une fabrication de 125 fûts à 2 personnes (le grand père et le père) par mois à une production de 1200 fûts par mois avec 40 collaborateurs au compteur, à cela vient s’ajouter un nouvel atelier et un passage à l’export (80% de la production actuelle).
La passion était déjà là lorsqu’à 13 ans, le dernier de la famille réalisa sa première barrique. C’était en 1982, et je peux vous garantir qu’après avoir passé l’après-midi avec lui, la passion est plus que jamais là, la passion et l’envie de transmission.
Elevé/vieilli en fût de chêne…
Une barrique est un exhausteur de goût qui, grâce à l’élevage apportera au fruit de la complexité tout en le respectant. Si un vin est bon, il le sera encore plus. En revanche, si le vin est mauvais, il n’en sera que pire…
Avant toute chose, il est nécessaire d’établir une distinction entre « élevé en fût de chêne » et « élevé en fût de chêne ». En effet, pour avoir droit d’apposer ce label sur l’étiquette, il ne suffirait parfois que de faire infuser des copeaux de bois dans la cuve et de le faire vieillir seulement 6 mois dans de vieilles barriques (parfois âgées de 15 ans) qui n’apporteraient alors plus rien au vin… Pour les meilleurs maquillages, ce goût vanillé et cette rondeur inhérents à un élevage en bois tiendraient 2 à 3 ans maximum. Au bout de ce laps de temps, le goût du « bois » se séparerait du vin et on aurait alors souvent une fausse impression de goût de bouchon… Le fût, contrairement aux copeaux de bois, prend le temps de se marier avec le vin, le bois tente de ne faire qu’un avec la matière du raisin afin de se fondre avec et de devenir presque imperceptible pour le dégustateur…
Notons qu’un vin en dessous de 10€ avec la mention « élevé en fût de chêne » serait tout bonnement impossible, notons également qu’un passage en fût reviendrait à 1€ sur le coût total d’une bouteille et pour finir j’apprends que les tonneliers ne travaillent qu’avec 2% des vignerons dans le monde… Toutes ces informations laissent songeur, n’est-ce pas ?
Par la suite, François Saint-Martin m’explique qu’il lui faut en général 3 ans de travail avec un vigneron avant de trouver la barrique parfaite. Il va d’abord se rendre au vignoble, regarder travailler le viticulteur, en apprendre le plus possible sur le terroir, le vin qu’on veut y faire, etc… Il me donne un exemple du pointillisme d’un de ses clients : il le fera déguster dans ses chais, les 100 barriques afin de s’assurer qu’elles goûtent toutes pareilles.
Il ajoute que pour lui toute barrique est bonne, il ne dénigrera à aucun moment ses concurrents et conclura en me disant :
De toute façon, si le travail est bien fait, on le saura à la dégustation. Un vin élevé en fût qui ne sent pas le bois est un élevage réussi.
Les différentes origines du Chêne
Le chêne Européen est reconnu pour être le meilleur bois en tonnellerie, il donne un goût beaucoup plus fin et discret que, par exemple, son confrère outre Atlantique.
Dans les forêts de l’Allier, on trouve l’un des plus exceptionnels terroirs pour fabriquer des barriques. Notamment le plus prestigieux à Tronçais, où l’on trouve des chênes centenaires dits « de haute futaie ».
Une futaie est un bois ou une forêt composée de grands arbres adultes issus de semis. Son opposé est le régime de taillis, dont les arbres sont issus de régénération végétative. Les futaies peuvent être naturelles ou être gérées par l’homme.
Le Tronçais aurait une amplitude sans égale et apporterait une longueur en bouche qu’aucun autre bois ne serait capable d’apporter, il aide également à relever le vin au niveau du milieu de bouche. En revanche il appauvrirait le nez et l’attaque. Le tonnelier va donc travailler également avec les forêts des Jupilles ainsi que les bois des Vosges qui ont quant à eux la particularité d’ouvrir le nez et d’améliorer l’attaque en bouche.
Ceux sont toutes ces caractéristiques organoleptiques des diverses origines du bois qui permettent de viser l’excellence.
Le bois de la forêt de Tronçais est également apprécié par les tonneliers pour son grain fin obtenu par une pousse très lente et régulière (on peut le reconnaître à l’espacement entre les lignes de croissance). En effet, ce type de grain est recherché pour la fabrication d’un tonneau car il apporte des tanins fins et élégants qui se fondront dans la matière. Par contre, un tonneau à gros grain (dû à une croissance rapide du bois) va contribuer principalement à une attaque tannique et intense. Les tanins ne tenant qu’environ 2 ans avec ce genre de grain, on peut alors l’utiliser sur des vins à boire jeune.
La matière principale du tonnelier
Depuis mars 2010, la tonnellerie Saint Martin a la chance d’avoir sa propre merranderie afin d’assurer ses approvisionnement en bois. Une merranderie est le lieu où on fabrique les merrains, matière première principale du tonnelier qui va lui servir à confectionner les douelles ou douves de tonneaux.
Ces merrains sont alors acheminées jusqu’au parc à bois en Lot-et-Garonne situé à l’extérieur de l’usine. Chaque élément joue ainsi un rôle crucial (le soleil, le vent et la pluie) sur la barrique en devenir : le soleil, le vent et la pluie participent au développement du goût du bois et le lavent de ses tanins amers. Le temps de séchage est d’environ 2 ans, 3 pour le bois de Tronçais. Le taux d’humidité peut atteindre 22% en été et 18% en hiver au maximum, cela suffit pour la France mais pas pour l’export, il faut alors passer les merrains en chambre de déshumidification pour faire baisser le taux à 15%.
Tout est enfin stocké dans l’entrepôt et classé par origine afin de répondre à n’importe quelle demande d’un client à tout moment.
Les différentes chauffes
La chauffe, née d’un savoir-faire ancestral, est réalisée le matin dans l’atelier. L’alchimie secrète entre l’eau et le feu transforment les constituants du chêne, faisant ainsi apparaître ces arômes boisés tant recherchés.
On chauffe entre 50 minutes et 1h20 selon le bois et le style d’arômes voulu par le vigneron. La chauffe peut aller de légère à longue forte en passant par chauffe moyenne (On m’a parlé de 5 niveaux différents de chauffe). Plus on chauffe, plus on obtient un gout de grillé prononcé, plus on fait ressortir le côté épicé d’un cépage. Notamment par exemple pour la Syrah, le vigneron aura tendance à demander une chauffe assez forte.
Le plus important lors de cette étape est l’évolution progressive de la température qui peut atteindre les 250° en fin de travail. Le bois étant composé de milliers de pores juxtaposés les uns aux autres formant un mur de petits canaux, il faut leur laisser le temps de se dilater et de s’imprégner de cette chaleur afin de développer leurs arômes de la façon la plus raffinée possible. Cette porosité joue d’ailleurs un très grand rôle sur le bon vieillissement du vin car il crée une micro-oxygénation de celui-ci. Un tonneau n’étant pas totalement étanche, il laisse s’échapper ce qu’on appelle la part des anges.
Les différentes tailles
Il existe évidement de nombreuses tailles de barrique pouvant aller de 225 litres à 600 litres. On peut même en trouver de plus petites mais c’est plutôt déconseillé, à moins d’avoir une idée très précise de ce qu’on veut obtenir, car très dur à travailler. François me parle alors d’une cuvée 100% syrah vieilles vignes, 24 mois d’élevage en barrique de 110 litres et me prévient : « Mais attention, c’est très spécial ». En effet, plus le fût est gros et plus le vin est « facile » à travailler : lorsque la taille augmente, le contact entre le vin et le bois est moindre donc l’influence du chêne est moins prononcée, on aura par conséquent moins de tanins et plus de rondeur et de sucrosité. Par exemple, en Bourgogne, bon nombre de vignerons utilisent des gros fûts pour apporter ce gras dont a parfois besoin le Chardonnay. On peut également se servir de fûts plus conséquents pour certains pinots noirs d’entrée de gamme ou certains vins « fragiles » à déguster dans leur jeunesse.
Les différents assemblages
Le Tronçais a beau avoir la réputation d’être la Rolls Royce du bois, c’est comme pour les cépages : chacun apporte quelque chose de différent et tel un œnologue, le tonnelier va chercher à comprendre ce que le vigneron recherche et pourra ainsi procéder à un assemblage de différents bois afin d’atteindre la complexité nécessaire pour que le fût réponde exactement aux besoins du client.
La plupart de leur barriques sont des 100% mais si le client est indécis ou s’il ne sait pas encore à quoi va ressembler son vin, il commande avant vendanges plusieurs assemblages pour faire des tests. Comme expliqué plus haut, c’est au bout d’un long travail, qu’on trouve sa barrique.
Vous avez par exemple, la barrique Blend Finess qui est un assemblage entre des bois de l’Allier et des Vosges. Je vous laisse vous rendre sur le site internet de la tonnellerie, si vous avez envie de découvrir le reste de leur gamme. Il serait, en effet, bien trop long de toutes vous les présenter ici…
On finalise la barrique…
La barrique après avoir été choyée, peaufinée, lissée, nettoyée est d’une douceur infinie et que dire de l’odeur qui se dégage de la bonde…
J’ai passé une visite vraiment exceptionnelle et je tiens encore à remercier chaleureusement François Saint Martin pour sa gentillesse, sa patience, son temps et surtout pour avoir répondu à toutes mes questions ainsi qu’à mon ami Jean Michel sans qui cette visite « privée » n’aurait jamais eu lieu !
Très bon article.